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Voici le troisième des chapitres traitant de la conquête industrielle et de l'habitat dans l'Ondaine du fer et du charbon.

C - Face aux logiques industrielles, un timide urbanisme.


         Où et comment chercherait-on, dans la vallée du début du siècle, les formes manifestes d’une réelle urbanité ?
         Par quelles interventions les pouvoirs publics tentèrent-ils d'arriver à ce que l'on puisse qualifier de "villes" les espaces produits par l’intrusion d’usines, de carrières, de mines, de cités ouvrières, de demeures patronales, dans un territoire encore doté d’étendues campagnardes, que ce soit sur les versants évasés de la vallée ou dans certaines parties de la plaine comme à Unieux ou à Chazeau ?


L'écrin campagnard des villes.

     
      A portée immédiate du tissu industriel et urbain, il reste toujours la campagne.
     C’est ce que décrit bien à Fraisses, en 1907, la monographie de l’instituteur Gazot. Des forêts couronnent encore les sommets. Les châtaignes, quoique de petite taille, y sont recherchées pour leur finesse et leur saveur. Broutant de verdoyants pâturages, les 124 vaches recensées dans la commune donnent de quoi produire pour les proches habitants les "tomes" de Montessut, de Montauroux et de La Rivoire. Il y a même des vignes procurant un vin clair et rafraîchissant, dont certains "crûs" ont été primés au concours agricole de Firminy de 1904. La "Font du Besson", descendant du massif de la Rivoire, est appréciée pour la saveur de ses eaux fraîches et limpides. Les berges de la Gampille, jamais à sec, sont jalonnées de blanchisseries.

     
      A Unieux, c’est dans un vallon presque sauvage et inhabité que coule, jusqu'à nos jours, l’Egotay en amont de son débouché sur le val Ronzière.

    
      Au Chambon-Feugerolles, Pétrus Faure rappelle dans son "histoire d’un ville" que, jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’agglomération ne dépassait guère la voie ferrée, au-delà  de laquelle se conservait une zone rurale seulement parsemée de quelques hameaux et propriétés (Gaffard, la Renaudière, la Pauzière, la Sauvanière...).


      Dans l'Hôtel de ville de Firminy, les fresques de la salle du Conseil municipal illustrent ce voisinage de l’usine et de la campagne. D’un côté, le rougeoiment de la forge, de l’autre, le pique-nique dominical sous les ombrages de Chazeau ou du Pertuiset, assez proches pour que l’on puisse même y aller à pied. 
    
      La vallée du Cotatay, autre lieu de promenade, devint aussi un lieu de pélerinage après l’aménagement en 1874 d’une grotte rappelant celle de Lourdes.


En ville, des espaces sans qualités.

       
       Le contraste n’en est que plus fort avec les laideurs urbaines. C’est par exemple un dépôt de rebuts charbonniers qui se consume encore vers 1900 à côté du puits Lachaux, en plein Firminy. "Une misérable bourgade de masures ouvrières", note Emile Zola à propos d’un quartier de Beauclair, où l’on reconnaît le Firminy qu’il visita en 1900. Il y décrit "un enchevêtrement tortueux d’étroites rues, sans air, sans jour, toutes empuanties par un ruisseau central que seules lavaient les pluies d’orage,...un entassement de population misérable en un espace resserré"; ailleurs, une rue "sillonnée de rails, aux gros pavés disjoints par les continuels charrois, roulant un fleuve de boue noire, toutes les poussières des houillères...dont les tombereaux défilaient sans cesse".
      Plus loin, "dans une rue étroite, sans trottoirs, pavée de cailloux pointus ramassés dans le lit de la rivière..., une maison noire, lézardée, qui s’était un jour tassée si brusquement qu’il avait fallu en étayer la façade à l’aide de quatre grosses poutres...Dans les chambres du second, le plancher dévalait, soutenu par ces poutres..."

      Evoquant ses souvenirs de 1920, Pétrus Faure, maire du Chambon-Feugerolles et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire locale, déplore que sa ville soit "l’une des plus sales et des plus laides de la région : pas d’hygiène, pas d’égout (sinon le Valchérie qui en tient lieu en plein centre), les eaux usées se déversant sur la chaussée et dans des fossés non couverts"...


Les aspirations urbaines d’une minorité bourgeoise.


        Peu de diversité sociale dans ce milieu d’ouvriers, sinon quelques éléments d’une bourgeoisie, composée d’une minorité de chefs d’industrie, de quelques commerçants parvenus à dépasser la condition de petits boutiquiers (on recensa 329 commerces à Firminy en 1905), de quelques membres de professions libérales. Pour ceux-là, Zola note dans son Beauclair un quartier plus attrayant  "avec ses boutiques débordantes".


         Ne tranchaient donc avec l’indigence générale de l'environnement urbain et architectural populaire que de minuscules centres-villes,  échelonnant quelques immeubles mieux construits le long de la rue principale, l’église dominant une place, une Bourse du travail, un Hôtel de ville, un marché couvert, et aussi la dignité républicaine des nouveaux bâtiments scolaires.


      C’est seulement dans ces centres que l’on peut faire état d’un timide urbanisme. Il faut rappeler qu’en la matière, face aux droits de la propriété privée, la loi ne donnait que très peu de moyens aux pouvoirs locaux. 
     
       Les seules règles à leur disposition visaient les établissements incommodes et insalubres, et l’alignement. On pouvait donc tenter d’éloigner de l’habitat les usines trop bruyantes ou nauséabondes, comme en 1853, lorsque le conseil municipal de Firminy refusa à la Compagnie des mines l’autorisation d’installer cent fours à coke, générateurs de poussières et de fâcheuses odeurs, au lieu dit "La Péchoire". Mais dix ans plus tard, il résista moins à la pression des Aciéries lorsqu’elles voulurent construire "185 fours de toutes sortes", et installer douze machines à vapeur et dix marteaux-pilons. Un argument résume le laxisme consensuel des autorités face à la grande industrie : "les incommodités qui pourraient être occasionnées aux propriétaires seront bien rachetées par la plus-value qui résultera de la proximité de cet établissement industriel" (Conseil municipal du 22 juillet 1855) : plus-value liée au besoin de logements et à l’accroissement de la clientèle ouvrière.


Des aménagements à Firminy.


       Du moins, à Firminy, y eut-il quelque volonté de préserver et d’aménager un centre relativement salubre et propre, en raison de l’importance traditionnelle du commerce, des marchés hebdomadaires et des quatre foires annuelles. Bien que devant composer avec l’industrie, la petite bourgeoisie commerçante, fort représentée au Conseil municipal, tenta de préserver un espace où elle fût maîtresse chez elle. Ainsi s’opposa-t-elle en 1860, année de l’inauguration de l’église Saint Firmin, à l’implantation, pourtant autorisée par le Préfet, d’une machine à vapeur dans le quartier du Breuil : celui-ci, "appelé à devenir le plus important de Firminy à cause de sa position par rapport à la nouvelle église, au nouvel hospice, à la nouvelle école et à l’hôtel de ville" devait en outre procurer "un lieu de promenade, ce qui nécessite une plantation d’arbres".


      Sans nous attarder au détail des aménagements réalisés, notons que la partie du centre située au sud-est de la grande rue évolua alors vers sa physionomie actuelle :
- aménagement de la place du Marché au coeur de l’ancien bourg, après la démolition (en 1863) de l’église Notre Dame et, plus tard, de quelques maisons insalubres (s’y édifia en 1909 la Bourse du Travail) ;
- ouverture des rues reliant la place du Marché à la nouvelle place du Breuil, sur laquelle purent s’installer dès 1854 les marchands forains, et en 1882 le terminus du tramway à vapeur venant de Saint-Etienne ;
- tracé d’un plan orthogonal (le seul de ce type dans la vallée de l’Ondaine) entre le Breuil et le Mas ;
- percée du boulevard Fayol, décidée en 1888 ;
- construction en 1901 de l’Ecole pratique de garçons (futur lycée Holtzer) ;
- à la place d’une ancienne école de maristes, édification en 1905-1907 d’un vaste marché couvert malgré l’opposition de nombreux commerçants (trop coûteux à entretenir avec ses structures d'acier et ses immenses vitrages, il a été démoli en 1969) ;
- construction en 1910 de l’église Notre Dame du Mas pour desservir un populeux quartier de mineurs et de métallurgistes.


      Mais de l’autre côté de la grande rue, la mine (puits du creux) et l’usine (Limouzin) côtoyèrent durablement ce centre, bien que la ville s’organisât peu à peu avec l’ouverture de l’avenue de la gare, la mise en place à l’approche de 1900 du réseau de rues complétant les rues Verdié et de la Loire. Cette dernière accueillit face à face : la gendarmerie, et en 1907 l’Ecole pratique de filles, dont les grands bâtiments font aujourd’hui partie du Lycée Albert Camus.


      En définitive, des cartes postales de l’immédiat avant-guerre donnent l’impression d’un centre ville équipé et acceptable autour de la place du Breuil, ornée de grands platanes,  d’un beau kiosque à musique (1894-1950), mais aussi d’un kiosque à journaux et d’une pissotière. On voit circuler le tramway électrique, des réverbères à gaz éclairent les rues ; quelques immeubles bourgeois tranchent avec la médiocrité générale du bâti, des stores ombragent les devantures des commerces.
    

 1900, place du Breuil à Firminy : terminus du tramway à vapeur, alignement d'immeubles "bourgeois" (balcons) dans cet espace qui s'est affirmé comme nouveau centre ville, non loin de la gare de chemin de fer. Pour l'hygiène, une pissotière. Pour le loisir, unc cirque s'est installé sur laplace. 




        Mais des maisons de la place du Marché sont gravement fissurés par le tassement du sous-sol minier(photo). Dans le quartier des Prairies, à l’est de Firminy, les maisons étaient étayées pour la même raison, et certaines penchaient.


       Après la première guerre, la fermeture du puits Lachaux en 1920, et un don financier de la famille Vincent, actionnaire important des aciéries de Firminy, permirent d’aménager le jardin public, toujours présent  à l’emplacement de l’ancien site minier. A côté, sur un terrain cédé par les mines, fut édifé en 1935 le bureau de poste de l’Avenue de la gare.
       Quant à la place du Champ de Mars, ouverte en 1865 à l’extrémité Nord de la rue Verdié, et qui eut jusqu’aux années soixante un caractère plutôt rural avec son lavoir, son abreuvoir et son marché à bestiaux, il n’en reste aujourd’hui plus trace après les bouleversements autoroutiers.


Les interventions dans les autres communes.


       Au Chambon-Feugerolles, malgré les pétitions hostiles des boutiquiers, la route royale (aujourd’hui rues Gambetta et du 11 Novembre) fut tracée dès 1832 à travers champs, à l’écart des rues tortueuses et étroites du bourg. A ce propos, Th. Ogier cite le notaire Heurtier se réjouissant de l’idée que cette nouvelle voie aurait pour résultat l’agrandissement du bourg et l’augmentation de son commerce. On préserva le site de l’actuelle place Jean Jaurès, jouxtant le tracé courbe du Valchérie, lieu de travail des lavandières avant d’être couvert et finalement remis à l’air libre par de tout récents aménagements.
     Dans l’ancien bourg, la suppression du cimetière permit l’agrandissement de la place du marché dès 1840, et la reconstruction en 1847 de l’église Saint Clément. Mais ce centre étriqué et plutôt mal construit fut bloqué dans son extension par l’étroitesse du site du côté de l’Ondaine, la proximité de la voie ferrée du côté sud, et la présence d’usines très proches. Car partout ailleurs, c’est la pure logique industrielle qui commanda l’organisation de l’espace.


      A La Ricamarie, commune créée seulement en 1843, il semble que les seuls travaux édilitaires de quelque envergure aient consisté à utiliser les déblais provenant du creusement du tunnel de chemin de fer pour niveler, en 1861, la place de la Mairie-Ecole nouvellement construite (l’actuel Hôtel de ville). En outre, Le Maire, M. Marchand, acheta les parcelles nécessaires pour créer au coeur de ce village-rue une place publique devant "donner vie à la ville" avec ses arbres, "ses lieux d’amusement pour les enfants et de rassemblement pour les fêtes".


       Unieux se dota, dans l’ancien bourg, d’une église en 1830 et d’une mairie-école en 1852 avant de créer de nouveaux établissements scolaires sous la Troisième République, en rapport avec la croissance démographique. En 1889, voulant se relier à la gare située à Fraisses, elle obtint le concours de l’aciérie Holtzer pour construire un pont sur l’Ondaine et tracer son Avenue de la Gare (devenue Rue du Lieutenant Demore, avec un pont que l’axe rapide a rendu aujourd’hui inaccessible). En 1907 fut réalisée dans la grande rue nouvellement pavée la ligne de tramway électrique reliant Firminy au Pertuiset.


      Citons encore Fraisses, ornée en 1867 par le château Dorian. Le goût de ses maîtres voulut qu’à la lisière du parc, des maisons ouvrières, aujourd’hui situées en bordure de la tranchée du chemin de fer, aient été construites avec une certaine recherche architecturale, de manière à ne pas déparer les abords du château. La commune n’a une école avec un local pour la mairie qu’en 1880 (le domicile du maire en tenait lieu jusqu’alors). Elle attend 1885 pour avoir sa gare, et la dernière décennie du siècle pour aménager la place du bourg. La petite église construite en 1865, "d’aspect plus misérable que les villas" selon M. Gazot, est remplacée en 1911 par l’édifice actuel (voulu par le directeur de l’aciérie de Firminy), et sa démolition permet d’agrandir la place.

 

Bilan de l’urbanisation industrielle.


        C’est au seuil des années cinquante que ce bilan prend sa signification, car si l’on met à part les réalisation mentionnées plus haut, quelques cités ouvrières, ou le quartier de la rue des villas à Firminy, et en 1930 les 150 logements du quartier de La Romière par l’Office municipal d’H.B.M. du Chambon-Feugerolles, la période 1914-1950 a été, comme dans la beaucoup de villes françaises, une période de relatif immobilisme en matière d’habitat urbain, pour des raisons bien connues : guerres, blocage des loyers décourageant l’initiative immobilière, crise démographique et économique, etc...Le tout aggravé par le manque d’entretien de l’immobilier.
      Notons toutefois des opérations publiques en rapport avec la croissance démographique : construction d’écoles, pavage des rues (comme la rue Pasteur à Unieux en 1929), aménagement de squares (on a évoqué plus haut le square Vincent Brunon à Firminy sur un ancien site minier, on peut ajouter à Unieux le petit square du Vigneron en 1955).


      Il n’empêche...Lisons par exemple ce que l’architecte Roger Puget chargé d’un "avant-projet d’aménagement du groupement d’urbanisme du bassin houiller" écrit en 1944 dans son rapport, à propos de Firminy : dans le centre ville, "les densités sont trop élevées, il y a une forte proportion de taudis, une mauvaise présentation générale. Le problème du logement ouvrier se pose avec acuité, exigeant...une extension du territoire urbanisé, en favorisant la construction de maisons unifamiliales avec jardin, type d’habitations qui font actuellement défaut". Il préconisait une extension vers Chazeau, loin des fumées d’usines, de leurs bruits, et des risques de guerre (rappelons la fréquence des bombardements d’usines et de voies ferrées en cette période, et en particulier celui qui atteignit le 25 mars 1944 à La Ricamarie l’usine Nadella et quelques immeubles, faisant 59 tués, 86 blessés et 400 sinistrés).


       Les recensements de 1946 et 1952, abondamment commentés en leur temps, plaçaient la vallée de l’Ondaine en tête du palmarès national des taudis, de l’habitat surpeuplé et insalubre, et du sous-équipement de la vie sociale, le tout aggravé par un entretien négligeant l’essentiel. Certes, pour répondre aux besoins de l’industrie, la décision fut prise par M. Combe, maire de Firminy, d’agrandir en 1947-48 l’Ecole professionnelle, et en matière d'habitat, s'appuyant sur la création, par décret du 24 mai 1948, de l’office public d’H.L.M. de Firminy, il estimait nécessaire et urgent de construire dans sa commune 500 logements. Mais il ne reçut qu’en 1953 l’approbation ministérielle pour un projet de 32 (rue de la Tardive). L’immobilisme avait la vie dure.


       Et pourtant, comme allait bientôt le montrer une minutieuse enquête du début des années 50 sur la vie sociale appelouse, rapportée par E. Claudius-Petit, les familles "avaient su créer, à l’intérieur de maisons sordides, les conditions d’une vie digne : le cuivre poli de la plaque et du bouton de porte, le brillant de la carpette, la netteté de la cuisinière émaillée témoignaient d’une heureuse fierté..." 

                                                                     A suivre....

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