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Nota : pour cette partie, j'ai complété le texte initial du chapitre : rédigé en automne 2003, il se terminait sur la reprise du chantier de l'église. J'ai cru bon d'évoquer brièvement la suite...
                                                                                                    R.C.

     A la fin des années 90, une minorité parmi laquelle on comptait quelques élus municipaux, des résidents de l'unité d'habitation, des adhérents du syndicat d'initiative, reconnaissaient et défendaient la valeur patrimoniale de l'oeuvre de Le Corbusier. Quelques-uns souhaitaient que l'église, dont le chantier abandonné ressemblait à un blockhaus du mur de l'Atlantique, soit un jour terminée. Mais comment ?

       Des "touristes", disons plutôt des visiteurs venus en groupe, souvent des élèves architectes, ou des scolaires avec leurs professeurs, parmi lesquel une bonne proportion d'étrangers, s'adressaient au syndicat d'initiative ou à Firminy-culture et spectacles pour se faire guider dans le chantier de l'église et dans l'unité d'habitation. Des bénévoles désintéressés du syndicat d'intiative accompagnaient ces visites tarifées. L'accueil quotidien de visiteurs individuels n'était organisé qu'en juillet et août par l'organisme municipal, qui recrutait à cet effet des élèves de l'école d'architecture de Saint-Etienne.    
       
     Mais une reconnaissance plus générale du patrimoine, sa pleine valorisation culturelle et touristique, supposaient la solution des deux problèmes majeurs : poursuivre la réhabilitation de l'Unité d'Habitation, commencée avec la réfection de la terrasse ; terminer la construction de l'église. 

      1 - L'Unité d'habitation.

     En avril 1996, un projet-pilote intitulé "Complices en utopie" fut déposé auprès de la Communauté européenne par Bernard Outin, maire, et par le Président de l'Office HLM. "Pour une fois, écrivaient les signataires dans la lettre adressée à Bruxelles, une politique osée de la ville, s'appuyant sur le patrimoine Le Corbusier, unique en Europe, peut permettre d'enclancher un nouveau développement de l'agglomération stéphanoise, sonnée par trente ans de crise". Au projet ont été associées l'Association Le Corbusier pour l'église de Firminy-Vert et la Société d'histoire de Firminy.  

      C'est à l'architecte parisien Henri Ciriani que fut confiée la présentation d'un projet visant au "recentrage de Firminy-Vert autour du pôle Unité d'Habitation" ; à sa réhabilitation et à la réoccupation de l'aile nord s'ajoutait un programme d'aménagement pavillonnaire des abords, le tout favorisant l'éclosion d'un pôle local de commerces et services de proximité. Mais ce projet resta sans suite, parce que l'appel d'offre n'avait pas été lancé à l'échelle internationale.

       M. Barré, Directeur de l'architecture au ministère de la culture, venu néanmoins en personne s'informer le 17 décembre, reconnut que "Firminy possédait un site d'une richesse absolue", tout en déplorant les contraintes budgétaires de son ministère. "Si le patrimoine Le Corbusier est un atout pour Firminy, lui répondit M. Outin, il est aussi une charge financière que seules les aides de l'Europe, de l'Etat et de tous les partenaires permettront de supporter pour passer du virtuel des idées à la réalité des réalisations".

       En 1998, la visite de M. Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, se conclut par la promesse d'une importante subvention (35%) pour la réhabilitation de l'Unité, l'amélioration du confort, la création de logements en accession à la propriété, une zone d'hébergements à l'intention d'étudiants en stage, des ateliers d'artistes...  
     
       Quatre mois plus tard, coup de théatre et nouveau conflit avec le "village gaulois" (ainsi se désignaient eux-mêmes les résidents frondeurs de l'unité d'habitation), lorsque, quelques semaines après la rentrée scolaire, le maire invoque des raisons de sécurité pour décider, dès la Toussaint, la fermeture immédiate  de l'école maternelle située au sommet de l'immeuble. Cela parce que de nouvelles normes de sécurité concernant les immeubles de grande hauteur ouverts au public, imposeraient à la municipalité des contraintes jugées trop coûteuses en personnel et en aménagements. Un autre motif invoqué était le risque d'explosion dans la gaine technique située sous l'école en cas de fuite de gaz par les gaines d'aération de l'immeuble (risque nié par Gaz de France ; de plus, fût-il réel, il aurait dû entraîner aussi l'évacuation de tous les appartements du haut de l'immeuble situés immédiatement sous la gaine technique).

      Contestant le bien-fondé de la fermeture de l'école, et les nouveaux risques liés aux trajets des enfants obligés d'aller vers une école plus éloignée, les locataires s'organisent pour l'occuper jour et nuit, et y prendre en charge une classe d'enfants avec le concours bénévole de parents, d'amis, d'anciens élèves et d'instituteurs retraités. L'occupation ne prit fin qu'avec les grandes vacances, fin juin 1999.

       C'est dans ce nouveau climat de tension que s'achève la préparation du projet de réhabilitation. Mais c'est sous la municipalité de M. Dino Ciniéri, élue en 2001, et comptant parmi ses adjoints plusieurs habitants du "village gaulois", qu'il sera mené à bien avec de subsantielles retouches. 

2 - L'église.

      En 1995, voulant donner un support à une nouvelle campagne de souscriptions pour l'achèvement de l'église, l'association Le Corbusier pour l'église Saint Pierre de Firminy-Vert édita une plaquette, illustrée de documents et de plans de l'édifice : "Ensemble, reprenons le chantier". 

     L'association avait obtenu au prélable l'approbation du diocèse et son engagement à utiliser le nouveau lieu de culte pour des célébrations occasionnelles et des rassemblements ecclésiaux. En 1996, le chantier fut classé en l'état "monument historique" par le Ministère de la culture.

      Scrupuleusement fidèle aux plans laissés par Le Corbusier, l'étude pour la relance du chantier avait été dirigée par son ancien collaborateur José Oubrerie,  assisté à Saint Etienne par l'Atelier de l'Entre (Aline Duverger et Yves Perret). L'obtention d'un nouveau permis de construire rendit néanmoins nécessaires des retouches en conformité avec avec les nouvelles règlementations en matière de sécurité et d'accessibilité  (notamment un ascenseur pour les personnes à mobilité réduite devait être inséré dans le projet ).

      Mais ce qui restait problématique, c'était le financement, soutenu par une volonté politique locale : quoiqu'importantes, les sommes collectées depuis les années 70, conservées et gérées par l'Association Le Corbusier, ne pouvaient y suffire.

    Le projet du Contrat global de développement local Ondaine-Haut Pilat, institué à partir de 1997 par la région Rhône-Alpes, pourrait-il inscrire dans ses programmes l'achèvement de l'église ? C'est à la commission "tourisme" que fut posée la question : mais celle-ci la laissa de côté, parce que trop importante pour obtenir un consensus intercommunal. Participant aux travaux de cette commission, l'auteur a d'ailleurs pu constater - au moins lors des premières réunions -  l'ignorance ou l'indifférence de la plupart des élus et des professionnels qui la composaient à l'égard d'un patrimoine  dont il ignoraient l'existence ou n'avaient qu'une très vague idée, éventuellement négative, et dont ils ne voyaient pas l'intérêt, le tourisme vert du massif du Pilat ou des gorges de la Loire étant à leurs yeux la question primordiale face à une vallée industrielle dépourvue d'attrait. Il fallut les conclusions d'un bureau d'études très extérieur à la région, pour faire évoluer ces points de vue, mais alors, la commission estima que son coût serait démesuré en regard des autres objectifs du Contrat.    

      Seule une volonté politique communicative et forte pouvait faire avancer les choses. Ce fut le résultat des élections municipales de 2001. Très attaché à Firminy-Vert, le quartier de son enfance, M. Ciniéri partageait l'enthousiasme de son équipe en faveur du projet mais voyait bien qu'il était disproportionné par rapport aux ressources de la ville.

      Sa réussite fut de faire adhérer la Communauté d'agglomération récemment instituée et en quête de projets significatifs, dont il fallait que certains soient situés en dehors de la ville-centre, et en harmonie avec la proposition d'ériger Saint Etienne  et le territoire communautaire en capitale du Design. A cet égard, la modernité et l'originalité de l'oeuvre de Le Corbusier contribueraient à donner au territoire une image significative : idée renforcé par les conclusion d'un bureau d'études reprenant à peu près  les conclusions exprimées par celui qui avait travaillé pour le Contrat Global.      

     Visites, réceptions, plaquettes, contribuèrent à la convergence des consensus, tant au niveau de Saint-Etienne Métropole qu'à celui du département, du ministère de la culture et de l'Europe. Un chargé de mission oeuvra pendant une année au montage définitif du projet.

     Aspect insolite de ce chantier : pour la première fois sans doute, on allait "construire" un monument historique déjà classé. (En fait, encore en 2008, seule la partie basse construite dans les années 70 est classée..). 

     
  Des animations festives célébrèrent le lancement et  différentes étapes du chantier, avec la participation de responsables de haut niveau, d'élus de tous grades, mais aussi en présence d'un important concours populaire. Ainsi la fête du 13 septembre 2003 pour la reprise officielle des travaux, quelques semaines avant l'achèvement de la réhabilitation de l'Unité d'habitation qui donna lieu à des journées "portes ouvertes", ponctuées d'apéritifs servis sur le toit de l'immeuble, auxquels étaient évidemment conviés ses habitants..

A gauche de l'image, une partie des six panneaux mis en place en juin 2003 pour expliquer le chantier. Il est à remarquer que, jusqu'à la fin en 2006, ces panneaux sont restés indemnes de tags ou autres dégradations.  

      



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chantier ; à l'intérieur, une extraordinaire forêt métallique pour étayer la coque jusqu'à la pose de la dalle sommitale.








        Mais la fête la plus grandiose fut celle de l'inauguration, organisée par la Communauté d'agglomération et la ville de Firminy en novembre 2006. Trois jours durant, jusque tard dans la soirée, les visiteurs se pressèrent pour suivre les visites guidées de l'ensemble du patrimoine, tandis que les bénévoles des associations locales participaient de diverses manières à leur accueil et aux animations organisées sur les différents sites. Illuminations mémorables, grandiose feu d'artifice, remise à chaque visiteur d'une plaque-souvenir de grès sur laquelle était gravé le dessin du projet fait par Le Corbusier sur le site en 1961, devaient laisser aux participants et aux invités un souvenir inoubliable.

      C'est en été 2007 qu'a été installé, dans la partie inférieure de l'église, le parcours d'interprétation de l'oeuvre de Le Corbusier, conçu par le Musée d'art moderne de Saint Etienne.
        Quant à l'église proprement dite, elle a finalement été consacrée lors d'une cérémonie qui a eu lieu en juin 2007. Des offices dominicaux y sont célébrés en principe une fois par mois, mais elle a joué le rôle d'église paroissiale pour Firminy pendant les travaux qui ont obligé à fermer Saint Firmin en automne 2007. 

        Pour la partie touristique, la création d'un Office communautaire à l'échelle de Saint-Etienne-Métropole dans le courant de 2007 a permis de professionnaliser l'équipe  de jeunes guides remarquablement compétents qui a assuré dès l'inauguration les visites guidées désormais quotidiennes, et dont la qualité n'est pas l'un des moindres facteurs d'attrait pour des "touristes" de plus en plus nombreux, et de plus en plus cosmopolites.

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CONCLUSION
    Conclusion (rédigée en 2003 : l'auteur était alors président depuis 1997 de l'Office de tourisme de Firminy-Ondaine). Texte légèrement retouché...

           La réalité ressemble à l'image qu'on en donne, (ou : qu'on nous en donne).
          Tout patrimoine est porteur d'une image construite et acceptée.
          Mais il lui faut du sens, une réelle valeur esthétique et culturelle,sans quoi il n'y a pas de notoriété durable.
   
      Sur Le Corbusier à Firminy, notre récit montre qu'il fallut du temps, peut-être l'entrée dans le nouveau siècle, mais surtout des luttes et des volontés convaincantes, pour que la compréhension surmontât peu à peu un sentiment initial de rejet ou d'indifférence. La perspective touristique y contribue, et c'est peut-être un regard attendu du monde cultivé planétaire qui a motivé certains des acteurs les plus "militants" de cette évolution.  

    Deux souvenirs pour conclure.
- Une journée patrimoine en 2000. Samedi matin, je suis devant la porte blindée qui ouvre l'intérieur du chantier de l'église. Un panneau invite à visiter cette espèce d'antre de béton qu'on devine à travers la porte entr'ouverte. Voici un passant ordinaire, cabas à la main car il revient du marché ; de toute l'autorité de sa cinquantaine, il me dit : "Pourquoi vous êtes là ? Tout ça, c'est nul, c'est moche, et puis plus personne ne va à la messe. A quoi ça rime, cette "ruine" qui sera rasée parce ça ne se pourra jamais se terminer ?"
     L'après-midi, 300 visiteurs de tous âges, attentifs à 45 minutes d'explications exigeant un sacré effort d'imagination pour se représenter un état futur bien aléatoire. A la fin, en achetant la plaquette plaquette relativement chère qui leur est proposée (150 F à l'époque), plusieurs souscrivent en fait pour l'achèvement du chantier, comme l'avaient fait avant eux pendant l'été de nombreux visiteurs étrangers. Leur participation sera envoyée à la Fondation de France qui recueille les donations.
   Pour eux, la visite avait construit une image positive d'un futur pourtant improbable. (j'espère que beaucoup d'entre eux ont eu à coeur de revenir voir l'oeuvre achevée...)

-  Au pied de l'Unité d'habitation, un matin d'automne un peu brumeux. Un car de lycéens. Réflexion entendue quand je monte à bord les accueillir : " c'est du béton ! j'aime pas, c'est pas beau..."  J'ai l'habitude...Mais voici parcourus au chaud les différents espaces de l'intérieur, les contrastes de luminosité, les rapports entre formes, volumes et banalité des fonctions. Les explications accompagnant la visite guidée soulèvent des questions ABSENTES DES PROGRAMMES SCOLAIRES. Avec chaque groupe de ce genre, c'est  presque toujours la même surprise, quand on les a vus d'abord chahuter un peu pour se détendre après le voyage : ça les intéresse ; il y a des choses à comprendre sur l'habitat, l'urbanisme, la vie sociale. Car ils sont tous habitants, citadins, êtres sociaux. Quand ils repartent, une heure et demi plus tard, on comprend, à leur propos, que leur regard a changé. Parfois, une remarque analogue nous vient des enseignants qui nous font part des impressions recueillies et exprimées dans les comptes-rendus de leurs élèves.
                                                                           René Commère.

..





























13 septembre 2003 : devant le "blockhaus" orné du portrait de Le Corbusier, inauguration officielle de la reprise du chantier. Les drapeaux de chacun des pays dans lequel se trouvent de ses oeuvres flottent autour du public.

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